Entretien Flora Tronche à l’Institut Français de Brême, été 2007 :

Nathalie David m´a reçue dans son appartement de résidence où nous avons discuté de son travail, de Paula Modersohn-Becker, et de ses pistes de réflexions artistiques.


          Quels ont été les éléments marquants au cours de votre formation professionnelle ?


Elle me raconte d´abord combien les voyages l´ont aidée à travers tout son parcours professionnel. Elle me confie que le directeur de la Villa Arson d´autrefois, Christian Bernard a encouragé ses étudiants à voyager, ce qui lui a permis de profiter pleinement de ces années de découvertes culturelles : un séjour de six mois en Chine, puis de trois mois en URSS, d´un an à Paris, à  Hambourg...

Elle me glisse aussi qu´à ses „heures parisiennes perdues“, elle occupait les salles de cinéma de la capitale y découvrant les oeuvres de Carl Theodor Dreyer, de Rosselini, ou d´autres cinéastes japonais.

Elle a choisi le documentaire pour raconter ses histoires;  il lui permet de s´exprimer à sa manière : en

s´accrochant surtout aux petits détails (anecdotes, sons ...) que la réalisatrice aime relever et mettre en avant dans la réalisation.


Quel est votre regard sur l´artiste Paula Modersohn-Becker ?


Après des mois de travail sur l´artiste, il n´y a plus vraiment de jugement possible sur le personnage comme sur l´oeuvre, me dit-elle. On arrive à un stade de „quasi fusion“; nécessaire aussi pour pouvoir s´immerger totalement dans ses recherches.

C´est son troisième  travail important sur une femme, après le portrait de l‘artiste Cécile Bart et de la photographe Leonore Mau. Elle me parle d´abord de PMB en tant que „missionnaire“, du personnage entier qui vécut sa courte vie dans l´intensité de l´instant. „De l´art pour l´art“; même si une part d´elle même est restée, malgré tout, très sociale. Nathalie David opère un rapprochement avec Gorges Sand : une même passion pour son travail, une même volonté d´aller au bout d´elle même. Elle me décrit son côté missionnaire à travers les lignes de conduite que PMB s‘imposait à elle même et pour elle seule, et non pas dans le but de débattre sur la condition féminine de l´époque.
Paula Modersohn Becker était, selon ses propos,“ une féministe sans le vouloir“.

On peut observer ce côté troublant de l´artiste dans ses rapports avec ses proches. Pour essayer de rendre au plus juste ce personnage, suite à une documentation fournie, Nathalie a eu besoin d´accumuler bon nombre de petits détails pour construire son film. Pour cerner Paula, il a fallut qu´elle comprenne sa vie au quotidien. Elle me décrit d´abord une relation conjugale particulière avec Otto : mélange de distance et de sensibilité, puis son rapport intime avec le poète Rilke, entre „érotisme intellectuel“, passion et échanges : des „chercheurs perpétuels“.

Nous évoquons certains passages de sa vie qui ont été décisifs : ses flâneries parisiennes au début du XXème siècle, les cours suivis à l´Académie des Femmes de Berlin dans les premières années (influence de  certaines idées novatrices scandinaves). Elle me fait aussi remarquer ces longs dimanches à Worpswede, où l´on se délassait en plein air de piano et des lectures...

A ce sujet, Nathalie évoque un autoportrait, un nu d´elle même (1906 „Selbstbildnis“), qui retranscrit la puissance créatrice et novatrice de Paula durant ces années. En feuilletant des livres d´art, elle relève combien Paula a su passer du doux au sombre dans ses peintures, avec quelle agilité elle gratte ses toiles, elle ajoute et enlève dans son travail. Tout comme dans ses oeuvres, le personnage reste lui aussi très extrême : alternant des phases de dépression et d´euphorie. Néanmoins, Paula a toujours su se préserver
d´elle-même et respecter ses propres limites.


L´importance du détail dans la réalisation.


La cinéaste essaie surtout de se servir de l´oeuvre pour alimenter son propre travail. Comme dans ses précédents films concernant Cécile Bart ou encore Gaudi, la réalisatrice a placé le fond sonore et musical au coeur de son film. Mais chaque réalisation a sa consonance particulière : „Les Sept Saisons“ : portrait du son, citations, décalé, „Überfall der Falte“ : en temps suspendu, épuré, répétitions, „Gaudere in Barcelona“ :  les pas d´un flâneur, apprécier tous les contrastes et les distances… Grâce à un travail en équipe avec Henry Altmann et la Kaffehausavantgarde, le film se déroule au fil d´arrangements musicaux de différentes oeuvres. Les poèmes de Rilke seront chantés par Pascale von Wroblewsky. „Il faut que le son soit intensif“, en rapport avec sa „boulimie“ du travail, il doit être évocateur et puissant ; que la musique remplace tout a fait les sons.

Ce qu´elle recherche, à l´image du résultat obtenu lors de la réalisation de „Überfall der Falte“, ce n´est pas la compréhension absolue de son oeuvre, mais le „ressentir“. „Un documentaire pour donner envie“.

Dans son travail actuel, la voix off (Hildegard Schmahl) est très présente et chaque tonalité de voix est étudiée pour retranscrire le personnage dans son entier. Elle nous donne les clés, que Nathalie David a voulu visibles. Le son de sa voix nous „rapproche du sol“. Elle est à la fois la mère, la narratrice et le guide. Il fallait que la comédienne ait ce regard qui traverse les âges, ces traits à la fois féminins et masculins, une coiffure simple, une chemise blanche intemporelle, et qu´elle retranscrive d´un autre coté, la mère de Paula : sous pression, intellectuelle, qui entreprit tout pour pousser la créativité de sa fille ( Nathalie me confie cette anecdote édifiante : la mère de Paula a elle même loué deux salles de sa résidence pour pouvoir payer des cours à sa fille). Elle parle sur fond blanc, sur un canapé gris : elle lit et la caméra ne coupe rien au montage . Sans décor, sans artifice : ancrée dans la réalité, comme pour contrebalancer le regard du spectateur qui s´attarde sur la „peinture-fiction“. Néanmoins sous cette apparente neutralité, la voix est suave et laisse transparaître l´enthousiasme de cette mère. Derrière l´image, la réalisatrice a laissé  les „ficelles d´un tableau que l´on voit“ aux regards des spectateurs.

La réflexion fut la même en ce qui concerne le choix des voix de Otto (Siegfried W. Maschek), de Rilke (Martin Spitzweck) ou de Paula (Gabriela Maria Schmeide) : des voix belles, ou agaçantes, mais qui laissent deviner le fort intérieur des personnages. Nathalie David, dans cette recherche de détails, de correspondances subtiles,  fait (re)vivre les sujets de son documentaire.

Tout sert à sa réalisation :
le montage assemble chaque petits détails récoltés pour dresser un portrait des plus personnel.

 

Hildegard Schmahl est la narratrice du Film. Siegfried W. Maschek, Martin Spitzweck et Gabriela Maria Schmeide prêtent leurs voix à Otto Modersohn, Rainer Maria Rilke et Paula Modersohn Becker. Les poèmes de Rilke sont chantés par Pascal von Wroblewsky.


PAULA MODERSOHN-BECKER, un souffle …

de l‘antiquité à l‘art moderne

est un film raconté en  6 chapîtres.


Chapître I: les premières esquisses. Chapître II: des bouleaux, des pins et de vieux pâturages. Chapître III Paris, géant Paris . Chapître IV: amoureuse, fiancée et mariée Chapître V: Je, c‘est moi. Chapître VI: Adieu


 
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Concept et realisation: Nathalie David

PITCHOUN Production

Scénario: Nathalie David

Musique: Henry Altmann et La Kaffeehausavantgarde

produite par: Volker Klein

Enregistrement du son et mixage: Sven Bien

Post-production: Christian Dubuisson, Montagehalle,


Format HD & Beta SP: 00:83:00

langue: allemand


Ce film est une commande du musée  Paula Modersohn-Becker à  Brême, soutenu par l‘Institut français de Brême et de Cologne par le Musée Ludwig à Cologne, financé par les fonds Nordmedia en basse saxe et à Brême and Bremen.


Le DVD a été produit grace à la participation finançière de la Banque Sparkasse à Brême

2010  Kunsthalle Krems, Österreich KH Krems

2009  Cerisy La Salle, Kolloquium R. M. Rilke

2008 18. September, sortie en salle en Allemagne, par Kairos Verleih

2008  Landesmuseum, Hannover

2007  Paula Modersohn-Becker Museum, Bremen

 

À paraître: ("Rainer Maria Rilke, sa vie, son oeuvre, regards croisés" Actes du colloque de Cerisy du 13 au 20 août 2009),

dans lequel on peut lire un entretien avec Michel Itty